|L.a.c.u.n.a.i.r.e|
Fucking island [1/2]
[Dream and Nightmare by suetlilanglz]
Les trous
qu’avaient foré les lames dans le corps étaient mous et flasques, longues
fentes vides. Ils ressemblaient à des lignes, tracées en rouge sombre sur une
peau de tissu.
Agenouillée
dans l’unique coin d’ombre de la pièce, tout près de la fenêtre, elle réprimait
la nausée, ce besoin impérieux d’écarter les trous des deux mains, de les
supplier de saigner, de gicler sur les murs, d’éclabousser ses vêtements bleu
ciel et son visage corrompu.
Après avoir planté les ciseaux dans le ventre nu de la femme, elle avait
hésité, penchée sur le corps secoué de convulsions. Parce que dans la
confusion, elle n’avait pas su différencier la droite et la gauche. Dans la
confusion, elle s’était demandé où se trouvait le cœur, avant même de se
demander si la femme en possédait un.
Elle
sentait l'incohérence. Un terrible anachronisme. « On m’a menti »,
pensait-elle, et ces mots pirouettaient au fond de son être, diffusant
insidieusement leur pouvoir de persuasion. Ces mots-là n’avaient pas plus de
valeur qu’un amas de lettres, ils n’évoquaient aucune image, ne signifiaient
rien de concret ; ils flottaient, entêtaient. Leur ombre était
incroyablement vaste, infinie comme un univers d’étoiles et de poussière, elle
se mouvait avec fluidité, formes fluctuantes. C’est l’ombre des mots qui
tassait ses épaules.
Elle se
savait poursuivie. Cauchemar kafkaïen, impossible de deviner un visage, un
mobile. On voulait sa peau, quelqu’un voulait l’éplucher comme un fruit et
dévorer sa chair, laper goulûment son jus. Coupable d’un crime inconnu, elle
courait.
La voilà à présent dans cette chambre vide, tordue par les recoins. Il n’y a
qu’une porte, elle sait qu’elle devra tuer tous ceux qui voudront la franchir ;
pour ne pas mourir, elle. Elle visualise parfaitement les escaliers, son regard
imaginaire s’est coincé dans l’angle d’une caméra de sécurité. Elle entend les
craquements du bois vieilli, elle sent que celui qui monte se retient de rire,
il sait qu’elle le voit, il sait que le bruit des marches lui parvient.
Le cadavre
se tient toujours là, le ventre fendu, tendu vers le plafond. Elle prend de
nouveau conscience de sa présence. Un éclair traverse sa rétine, un instant, elle
croit voir un masque de porc luisant et rose posé sur le visage de la morte.
Elle cligne des yeux, puis se souvient. Quelques minutes plus tôt, il y avait
d’autres êtres vivants. Ils ne comprenaient pas, ils devenaient fous au simple
contact de sa détresse, ils tombaient, raides, tétanisés, froids, déjà. La
chose qui vivait en elle ne laissait pas le choix. Ni le temps.
Elle avait grimpé, elle aussi, ouvert toutes les portes. Elle avait inspecté
les placards les plus minuscules, espérant pouvoir s’y dissimuler. Elle y
entrait un pied, puis renonçait et ouvrait une autre porte. Tant de
pièces ! se disait-elle, je vais sans doute trouver une cachette, je n’en
bougerais plus, et puis ça s’arrangera, oui. Il n’y avait que cela, des portes,
et des pièces vides. Parfois, elle devait se plaquer contre un mur, et y
enfoncer ses ongles. Retenir son souffle, court, les paupières, serrées.
Elle a envie de vomir. Les ciseaux couleur rouille. Elle
tire sur sa jupe bleu ciel, et rapproche encore ses mollets de ses cuisses.
L’ombre
a rétréci.