[by Eugenio Recuenco]
*
Son cœur
posé là, battement d’aile et de cil.
Elle
calcule chacun de ses gestes, comme si tout était gravé, comme si c’était
inéluctable. Elle veut être intense, elle veut brûler l’air et s’asseoir sur la
mort. La lumière qui vacille éclaire l’horloge, de temps en temps. Chaque
fois, l’impression qu’il est trop tard.
Elle le voit, à travers la vitre. Son sol tremble, il perd souvent l’équilibre.
Elle ne sourit pas, quand elle le voit étendre les bras et se coller au mur.
L’aiguille, enfoncer, tirer, le fil, fin, fragile. C’est l’homme, le sien, qu’elle
regarde, il est assis à son bureau, maintenant. Il écrit, les sourcils froncés.
De temps en temps, il se lève, enlève un vêtement, et se rassoit. Nu, elle ne
l’a jamais vu. Les secrets de son regard le recouvrent. Impénétrable.
Elle le
regarde, et l’aiguille s’enfonce dans son doigt. Elle le porte à ses lèvres, le
goût métallique de la vie s’écoule sous sa langue. Au bord de ses lèvres à lui,
le même goût, se souvient-elle. Elle l’avait mordu, avait serré ses mâchoires
jusqu’à ce qu’elle sente la chair s’ouvrir. Là encore, elle ne l’avait pas
quitté des yeux.
Lui avait
les paupières closes. Il semblait ne les ouvrir que lorsqu’ils mélangeaient
leur sens, dans le noir. Il parlait peu, jamais pour ne rien dire. C’était
pour empêcher ses organes de s’échapper, expliquait-il. Elle s’amusait
alors à tirer sur son menton mal rasé pour qu’il ouvre la bouche. Elle y
plaquait la sienne, et hurlait. Si elle n’entendait pas l’écho se répercuter
dans son estomac, elle le punissait en expulsant l’air vicié de ses poumons
dans sa gorge.
Il était
dos à elle, à présent, elle savait qu’il consacrait ce morceau d’existence à
ses fantômes. Certains vivaient un peu, et riaient trop fort, d’autres
s’allongeaient juste dans un coin et soupiraient d’ennui ou de regret. Cela ne
la concernait pas, elle le sentait, alors lorsqu’elle ne pouvait voir les
traits de son visage, elle baissait les yeux sur son ouvrage. Aiguille, piquer,
tirer, le fil entre les dents, un nœud.
Le cœur
frémissant glissait souvent. Elle avait acquis certains réflexes, depuis le temps. Quand il lui échappait, elle se
mettait à chanter. Les paroles débordaient, immédiatement, les notes
emplissaient la pièce, et puis un timide sourire. Le creux dans sa poitrine
restait douloureux, mais derrière la vitre, le corps tendre battait la mesure. Elle
pouvait encore vivre.
A ses pieds, les ressorts de l’horloge éventrée grincent doucement. L’aiguille
restante s’est tue. Elle enfonce l’autre, celle qui sonne les heures, dans la plaie
de son ardeur. Pour la dernière fois. Il se retourne. Sur leurs joues, rouges
et confiantes, se creuse la même virgule. Ils peuvent encore vivre.